BD et roman graphique

Un schisme littéraire aux limites encore trop floues.

C’est sous le nom de bande dessinée que l’on regroupe les différents genres illustrés. Les 1001 BD qu’il faut avoir lu dans sa vie, véritable Bible du neuvième art, parue récemment aux éditions Flammarion contient aussi bien des titres de bande dessinée au sens auquel l’entendent les puristes, mais également des titres de comics, de mangas, de romans graphiques, …

S’il est facile de voir ce qui oppose BD et manga ou comics et BD, la différence est plus difficile à discerner pour le roman graphique. La bande dessinée est effectivement le genre illustré qui se rapproche le plus du roman graphique, si bien que les limites entre les deux genres sont encore très floues, également parce que certaines œuvres sont aussi bien qualifiées par un terme que par l’autre.

 

Mais le fait est là, il y a bien eu un schisme littéraire puisque le mot « roman graphique » existe. Comment définir ce genre qui s’apparente à la bande dessinée mais qui s’en écarte également ? Qu’est ce qui différencie les deux? Le roman graphique s’émancipe-t-il par rapport à son support, à son graphisme, à son scénario ?

 

Les caractéristiques qui définissent le roman graphique sont les suivantes : il s’agit d’un texte illustré, d’un graphisme soigné et souvent en noir et blanc, l’ouvrage est plus épais qu’une BD et en un seul tome. L’histoire racontée touche souvent à la sphère intime, il s’agit d’une histoire « profonde », d’une leçon de vie, d’un récit mature. L’autobiographie est le genre de prédilection des romans graphiques et les titres de récits de vie pullulent dans les maisons d’éditions.

 

Il reste donc à la BD la définition par l’antithèse : Un ouvrage certes divertissant mais pas très intellectuel, un format compact (comme celui bien connu des BD franco-belge avec couverture cartonnée et 48 pages comptées), un récit d’aventures, de fictions, et un texte relégué au second plan, sans grande visée littéraire. Avec de telles définitions, on a alors d’un côté les œuvres que l’on peut prendre au sérieux et de l’autre celles qui n’ont pas cette dimension intellectuelle.

 

La bande dessinée rétrogradée

Il est amusant de voir que la BD, un art qui a eu du mal à s’affirmer et qui a longtemps été rejeté de la littérature, se voit aujourd’hui suppléer d’une branche qui s’affirme beaucoup plus facilement comme un travail artistique. L’évolution va normalement dans l’autre sens. Les musiques, danses, œuvres littéraires ou peintures modernes et nouvelles peinent à être reconnues d’emblée comme égales à celles qui les précédent et cela à toutes les époques.

 

Rester sur ce classement, c’est présenter le roman graphique comme une évolution élitiste de la BD, atteignant enfin le domaine intellectuel des autres arts. C’est aussi la conséquence au fait de reclasser des œuvres parues dans le genre « BD », dans la catégorie des romans graphiques. Donner le titre de roman graphique à des BD a posteriori, conduit forcément à une discrimination du genre de base. Cela n’est pas forcément le but mais l’effet reste le même, le terme « roman graphique » semble alors être une graduation, un titre honorifique attribué aux ouvrages qui sont au dessus de la BD. Le problème est qu’on associe alors au mot bande dessinée un style inférieur, et le genre subit une exclusion du domaine artistique puisque la différenciation entre BD et roman graphique a pour conséquence de mettre en avant ces derniers comme dignes représentants du neuvième art.

Le roman graphique : un art double

 En réalité, le roman graphique devrait tout simplement être considéré comme une rencontre entre deux arts : la littérature et la bande dessinée. On se doit de sortir des questions de support et de style de dessin pour définir le genre, afin de mettre en avant les qualités littéraires du roman graphique : le texte et le thème abordés sont les éléments qui vont apporter une nouvelle dimension par rapport à la bande dessinée. Evidemment l’illustration apporte autant que le texte dans la qualité de l’œuvre, et au-delà du simple accompagnement de la lecture, le graphisme est une interprétation du texte. On peut lire l’œuvre à la fois avec le texte, mais les images sont tout aussi parlantes pour la compréhension de l’histoire. Sans texte, on se situerait plutôt dans l’album, sans le graphisme, on serait dans le récit littéraire : ce sont les deux rassemblés qui forment le roman graphique.

 

Il est alors normal que le roman graphique se propose comme une manière de réinterpréter des œuvres littéraires ou cinématographiques. En ce qui concerne la littérature, on pense au projet monumental lancé par la maison d’édition « Seven Stories Press » : 189 œuvres de la littérature orientale et occidentale vont être interprétées par des grands noms de la BD (Robert Crumb, Will Eisner, Hunt Emerson, …). Au-delà d’un travail d’illustration, il s’agit vraiment ici de la réinterprétation de ces classiques : grâce à leur style personnel, ils pourront donner aux œuvres une dimension nouvelle. Ceci nous sert aussi d’argument pour montrer que la longueur de l’ouvrage n’influe pas sur la catégorie de l’œuvre (BD ou roman graphique). En effet, même si l’œuvre dans son ensemble sera monumentale, chaque classique de la littérature adaptée ne dépassera pas seize pages! Un format spécialement court et qui relève du challenge par rapport à la longueur de certains livres choisis par la maison d’édition.

 

De la même manière, les autres critères techniques qui « définissent » le roman graphique ne sont pas valables dans tout les cas. Oui certes, les planches en noir et blanc sont les plus nombreuses à apparaitre lorsque que l’on tape « roman graphique » dans la barre de recherche de Google images et les grands chefs d’œuvres du roman graphique tels que Maus d’Art Spiegelman, Persepolis de Marjane Satrapi, Habibi de Craig Thompson, ou encore La guerre d’Alan d’Emmanuel Guibert, sont tous en noir et blanc mais on peut citer La page blanche de Boulet et Pénélope Bagieu en contre exemple. Certaines de ces œuvres comportent plusieurs tomes, d’autres un seul. Enfin le trait de dessin d’un illustrateur n’influe pas réellement puisqu’un même auteur a pu faire de la BD au sens le plus étroit du terme ainsi que des œuvres classées dans le genre du roman graphique. L’auteur de bande dessinées alternatives Robert Crumb n’est il pas aussi l’auteur d’une adaptation de la Genèse en roman graphique ?

 

Définir le roman graphique en s’appuyant sur le format ou sur les caractéristiques matérielles est tentant, mais il s’agit d’une fausse piste. La lecture de l’œuvre doit être ce qui nous permet de juger du genre de celle-ci : la double lecture par le texte et par l’image.

 

F .M.

Habibi, Craig Thompson
Habibi, Craig Thompson

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